Participation d’Audrey Sérandour aux journées d’étude du CIST “Droit(s) et territoire(s)”

Audrey Sérandour a présenté les résultats de la tâche 1 du programme NucTerritory à l’occasion des journées d’étude du CIST “Droit(s) et territoire(s)” organisée les 8 et 9 décembre 2022 à Paris.

Titre de l’intervention : Un risque (in)territorialisable ? Une approche géo-légale du zonage risque autour des centrales nucléaires au Royaume-Uni
Résumé :
L’utilisation du droit dans la gestion territorialisée des risques a fait l’objet d’un certain nombre de travaux (Bayet, Le Bourhis, 2000 ; Douvinet et al., 2011 ; Reghezza-Zitt, 2015 ; Fuentealba et al., 2020), qui montrent que la territorialisation du risque est un processus fondamentalement géopolitique (Pigeon, 2014 ; Maes et al., 2019). En tant qu’outils de gouvernance, les zonages réglementaires créent des périmètres d’intervention et des champs de responsabilités. Ils naissent d’une rencontre entre droit et espace qui peut être conflictuelle, dans la mesure où ils sont politiquement construits et situés. La littérature existante sur cette gestion territorialisée des risques a principalement porté sur les inondations, le volcanisme, les avalanches, glissements de terrain, séismes et plus marginalement les risques industriels, mais a rarement interrogé le risque nucléaire, perçu comme diffus. Ce dernier est davantage abordé au prisme des perceptions et représentations qu’il suscite ou sous l’angle de la justice spatiale, en lien avec son inégale répartition. Ainsi, rares sont les travaux qui analysent la manière dont le risque nucléaire est territorialisé politiquement en contexte pré-accidentel. Les travaux de R. Garcier (2014) sur les déchets radioactifs ont montré la pertinence d’une approche géo-légale de la gestion du risque nucléaire, mais ils portent sur les circulations plus que sur les sites nucléaires.
En prenant comme cas d’étude des centrales britanniques, ce papier propose d’étudier la manière dont est territorialisé un risque perçu comme spatialement diffus, en analysant les conditions politiques de construction des zonages de planification d’urgence (DEPZ) qui entourent ces centrales nucléaires. Un risque perçu comme diffus est-il pour autant interritorialisable ? Comment passe-t-on d’une injonction normative de gestion du risque à la mise en place d’un zonage réglementaire opérationnel ? Dans quelles conditions politiques et spatiales ces zonages du risque nucléaire sont-ils produits ?
Pour répondre à ces questions et comprendre, plus largement, le rôle du droit dans la production d’espaces nucléaires, nous avons choisi d’utiliser les outils de l’approche géo-légale. Ceux-ci permettent en effet de prendre en compte la manière dont, à la fois, le droit et le territoire participent à la production des zonages risque. Mobilisant l’analyse de la textualisation juridique (Garcier, 2009), l’herméneutique textuelle (Santoire et al., 2020) et la posture du « détective spatial » (Bennett, Layard, 2015), nous avons élaboré un protocole de recherche qui a permis d’identifier et d’étudier les textes normatifs encadrant les zonages du risque nucléaire au Royaume-Uni, puis d’investiguer les conditions de leur traduction spatiale lors d’observations de terrain à Heysham et d’entretiens semi-directifs avec des acteurs de la planification d’urgence, des représentants d’opérateurs et des acteurs locaux.
Notre étude de cas des centrales nucléaires d’Heysham se place dans une temporalité particulière, dans la mesure où le texte réglementaire encadrant la détermination et la régulation des DEPZ (Detailed emergency planning zones) a été révisé en 2019, ce qui a impliqué une nouvelle procédure de production de ces zonages en 2020. Cela nous a permis de mettre à jour le rôle du jeu social et politique dans la production du droit, puis dans la détermination des zonages. Dans ce processus de territorialisation du risque, nous avons ainsi pu constater que les textes normatifs encadrant la détermination des DEPZ sont produits par des rapports de pouvoir autant, qu’ils les cadrent et les contraignent. Toutefois, si le droit conditionne les relations entre acteurs (opérateur, régulateur, autorité locale…), il laisse également des marges d’interprétation, qui peuvent avoir un effet spatial. Lorsqu’un responsable local de la planification d’urgence se saisit des textes normatifs, il les interprète en fonction de sa propre perception du territoire, de son expérience du terrain. Ainsi, une DEPZ émane du droit, tout en étant une projection de l’expérience spatiale des acteurs qui la produisent. Par ailleurs, nous avons également constaté l’importance des effets de lieu, c’est-à-dire de l’influence de l’espace dans l’application du droit. Selon les moyens financiers de la commune, les compétences des fonctionnaires locaux, les relations de pouvoir à l’échelle locale, mais aussi les caractéristiques paysagères du territoire et la densité de son aménagement, le tracé de la DEPZ varie d’un espace à l’autre. Les marges d’interprétation du droit pouvant d’ailleurs renforcer ces effets de lieu.
Ainsi, faire une géographie politique de la production de ces zonages de planification d’urgence autour des centrales d’Heysham nous permet de contribuer à la fois aux réflexions sur la manière dont le droit contribue à la production des espaces nucléaires et à celles concernant la territorialisation de ce droit.
[Photographie par SRC]

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